Demain, je pars

. dimanche 26 août 2007
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DEMAIN, JE PARS
(Peimpourte)

Demain, je pars… pourquoi partir ? Pourquoi pas. Après tout qu’est-ce qui me retient ? Pas grand chose. Le travail ? Il y a longtemps que j’ai renoncé à m’épanouir dans le travail. En fait, mon besoin de vacances, mon désir de départ, c’est l’abrutissement du travail qui l’a engendré. Si je pars, c’est à cause du boulot. Qu’est-ce qui pourrait me retenir ? L’amour ? L’amour est universel et je n’en détiens qu’une parcelle. L’amour est partout, pourquoi me retiendrait-il ici ?

C’est décidé, demain je pars… Mais où ? Il n’est bien nul part celui qui est mal chez lui. Suis-je chez moi ici ? Non. J’y suis bien certes, mais ce n’est pas chez moi ici. Chez moi, c’est partout. Car si ici c’est chez moi, alors ailleurs c’est chez les autres. Eh ça, c’est hors de question. Chez moi, c’est nulle part, c’est donc partout. Si je pars demain, c’est de chez moi vers chez moi... Alors pourquoi partir ? Non c’est décidé, demain je pars. Je me casse, je me barre, je me tire, je m’arrache, j’émigre.

Vite, il me faut faire mes valises, non ma valise, voyageons léger. Alors, voyons voir, il fait froid en cette saison, j’emporte un pull et de grosses chaussettes. Mon bonnet péruvien et mon grand caban bleu marine. Le nécessaire de toilette, c’est important la toilette. Oh et puis non, je pars sous les tropiques ! La valise sera d’autant moins lourde et j’aurais de la place pour les souvenirs… si je reviens !

La chaleur, ce sera vraiment dépaysant ! Le soleil, le lagon bleu, les palmiers, un ti-punch, les filles souriantes et peu farouches qui sortent de l’onde turquoise au ralenti, et la Compagnie Créole en fond musicale… Non, c’est nul…

Je ne dois pas savoir ou je pars si je veux vraiment partir car si je sais où je pars c’est comme si j’y étais déjà… c’est comme si j’étais déjà revenu. Pourquoi faire ma valise ? Pour emporter un peu d’ici là-bas ? Mais moi je veux changer d’air, je veux tout changer donc… pas de valise. Juste mes papiers, mon porte-feuille, ma carte bleue…mes médocs au cas ou…

De toute manière, demain je pars. Faut vraiment que je parte. J’en ai plein les bottes, ras le bol de cette vie de merde ! De tous ces connards qui me polluent la vie avec leurs conneries qui me font chier, qui ne mènent à rien d’autre qu’au gâchis de l’existence. Ils sont navrants tous, avec leurs petits soucis à deux euros, dans leurs petits mondes exigus qui puent la vanité poussiéreuse. Tous identiques à se construire leurs petits mondes, leurs petits bonheurs persos qui s’écroulent à mesure qu’ils le construisent. Tous bouffés par la société qui les formate et les pressure comme du bêtes à viandes, comme des vaches à lait !

Tous ces démons qui passent leur temps à se dire, à se promettre qu’ils s’aiment, ils vendraient leurs couilles pour passer à la télé ! Ils sont tous à chercher frénétiquement, pitoyablement, à se convaincre qu’ils sont uniques dans leur amour-propres. Pourtant ils se ressemblent tous. Sans la moindre lucidité, ils copient maladivement le programme collectif imposé, de la belle et du prince charmant. Tous clonés, tous sont des clones… Il était une fois le papa et la maman qui vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants…puis vieillirent et moururent ! Il faut toujours raconter les histoires jusqu’au bout.

Non, vraiment, il me faut m’extirper de cette matrice artificielle mortifère. Il faut que je parte.

Demain je pars à pied et je fais du stop. Voilà, ça c’est bien, c’est l’aventure. Ça c’est une bonne manière de rencontrer des gens, d’échanger des expériences, de communiquer, d’aimer quoi ! Et sur ma pancarte je marquerais « comme vous voudrez ». Ouais ! Ca c’est pas mal, comme ça celui ou celle… qui s’arrête, elle saura. Non ça craint, personne ne s’arrêtera. On va me prendre pour un dérangé. Les années peace an love, où les gens osaient se côtoyer sans trop d’a priori, c’est terminé ! Aujourd’hui c’est plutôt war for peace : si tu m’emmerdes pas, j’te fais pas chier et on est pote. Sinon, je t’éclate la tête car tu l’auras bien cherché ! Je vais juste tendre mon pouce et si on s’arrête pour me prendre, je donnerai le nom d’une ville dans la direction. On verra bien…

Bon je résume, pas de destination précise, pas de bagages, pas de moyen de locomotion. Ouais, ça sent la galère, mais bon, c’est l’aventure ! Je vais tout de même faire le plein de mon C.C.P., ça pourrait s’avérer judicieux. Je ferme mon LEP, mon PEL, mon livret A et puis je pars ! Comme cela, si par bonheur je ne revenais pas, je suis OK .

Bon j’vais à la banque…merde, il est vingt heures, trop tard pour aujourd’hui, je ferais tout ça demain…Mais non demain je pars ! Je partirais après… Re-merde demain les banques sont fermées, on verra ça après-dem… Non, c’est décidé une bonne fois pour toute, je pars demain ! En fait, c’est l’argent qui nous retient.

Isabelle est partie. Elle est bel et bien partie la belle Isabelle. Elle est partie sans moi. Elle m’a laissé avec nos projets, nos rêves, nos enfants à venir, notre belle maison avec une piscine, un jour peut-être, si l’on a assez économisé. Elle m’a abandonné, moi. Elle m’a laissé tout seul, avec notre bonne situation à venir grâce à mon idée d’installation et à ses espoirs de promotion. Où est-il cet avenir radieux maintenant qu’Isabelle m’a quitté ? Où est notre beau labrador qui court haletant dans les champs, entraîné par la mélodieuse musique Royal Canin ?

Que devienne Cindy et Jonathan, nos deux chérubins que nous voyions si bien jouer dans leur chambre ou courir dans le jardin après le chien. Souvent ils se chamaillaient pour des broutilles. Parfois, Cindy venait se plaindre des turpitudes causées par son petit frère. Mais jamais rien de grave car ils s’aimaient, ils nous aimaient, nous les aimions et on s’aimait. Le soir, avant qu’ils ne s’endorment je venais leur conter une histoire où tout finissait bien. Parfois lorsqu’ils chahutaient un peu trop longtemps et s’énervaient au point de risquer de ne plus pouvoir s’endormir, je les grondais un peu.

C’est fini tout ça. Elle m’a quitté et je n’ai plus d’avenir. Cindy et Jonathan sont morts. Ils sont morts avant même d’être nés. Isabelle m’a quitté. Isabelle est morte elle aussi. C’est leur deuil qu’il me faut porter.

Tout ici me rappelle le doux regard d’Isabelle. La cuisine où nous aimions faire frire, revenir, dorer, frémir, bouillir, faire mijoter notre amour à feu doux. Le salon dont le vieux tendre canapé épousait langoureusement les contours d’Isabelle. J’aimais la regarder devant le feu de cheminée crépitant, posée nue sur une peau de bête délicieusement démodée. Parfois nous végétions comme des larves devant la télé. Nous aimions nous blottir dans cette rassurante tranquillité du vieux couple. La salle de bain où souvent, elle se plaisait à m’asperger d’un saut d’eau froide alors que j’étais sous la douche, le regard aveuglé par le gel moussant.

La chambre, l’alcôve, le lit. Nous y faisions peu l’amour. C’est la maison toute entière qui était le théâtre de l’exaltation de nos sens. Comme s’il nous fallait imprégner chaque recoin de la demeure de notre présence amoureuse, y vivre le témoignage charnel de notre coexistence spirituelle. Nous lisions beaucoup dans notre lit, nous y parlions un peu. Nos conversations étaient en quelque sorte, un résumé de la journée passée et une prévision du lendemain. Le lit était finalement le lieu où nous réchauffions nos individualités l’une contre l’autre, unis par les liens du sommeil. Nous y enlacions une ultime fois nos corps, jetant dans cette étreinte nos reliquats d’énergie, avant de nous quitter et partir chacun de notre côté du rêve où malheureusement, jamais nous ne nous retrouvions… A présent que tu es partie Isabelle, tu me rejoins dans mes rêves. J’aimerais tellement ne plus avoir à me réveiller...

Cette maison est hantée par des moments heureux mais révolus, dont le souvenir me confine dans le malheur. C’est pour cela avant tout qu’il me faut partir, vite.

Les américains ont attaqué l’Irak. Ce n’est donc pas là-bas qu’il me faut partir. Le pétrole a fait de ce pays un enfer. Les plus beaux cadeaux du ciel seraient-ils empoisonnés. Isabelle était mon cadeau, elle est partie.

Le monde n’est plus qu’une manifestation anthropomorphe et anthropophage. Partout où j’irais ce sera la même rengaine des hommes égocentriques affairés frénétiquement à détruire un monde qu’ils veulent construire meilleur. Où pourrais-je trouver un exil préservé de toute cette haine qui s’exhibe au nom d’un amour-propre transi par la tentation de la possession.

Il n’y a plus d’île déserte et paradisiaque. Elles ont toutes été bétonnées, viabilisées, rentabilisées, dénaturées. Il n’y a plus de havre de paix. Partout des juges se rejettent la faute, partout des bigots s’accusent de pécher. Partout des croyants peaufinent l’image de Dieu à l’aune de leurs mensonges. Isabelle, notre bonheur rêvé n’était-il qu’un mensonge ?

Tu es partie Isabelle, je ne sais pas où tu te trouves. Tu es sortie cinq minutes pour acheter des cigarettes et tu n’es pas revenue. Tu voulais arrêter de fumer. Ca y est, c’est fait. Je n’en veux pas au conducteur de l’autobus. Il est juste coupable d’avoir conduit l’autobus.

D’une certaine manière, je me sens comme un kamikaze palestinien. Je n’ai plus d’espoir, je n’ai plus d’avenir. Je suis en panne d’existence. Il n’y a que dans mes songes que tu restes près de moi. Songes, mensonges, peu importe. Partir, c’est mourir un peu, paraît-il. Mourir, c’est partir pour de bon, c’est partir enfin.

Sans bagages, sans argent, sans rien, c’est décidé, demain je pars enfin…

A demain, Isabelle.