M.ARCADE - Rendez-vous médical

. dimanche 26 août 2007
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M.ARCADE-Rendez-vous médical

Rendez-vous médical

(Matthieu Arcade - 2006)
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Martin sonna, puis entra dans le cabinet du docteur Jorowsky, comme cela était indiqué sur la petite plaque en cuivre accrochée à la porte.
- Bonjour monsieur, vous aviez pris rendez-vous ? Lui demanda la jeune secrétaire assise derrière le comptoir.
- Oui, à dix heures, répondit Martin d’un air inquiet. Je suis envoyé par le docteur Dubrowsky, ajouta-t-il, tout en plongeant son regard sur la gorge largement entrouverte de la séduisante jeune femme. Voici ma lettre de recommandation.
- Le docteur va vous recevoir dans quelques instants, dit-elle, avec sa bouche en cœur ; allez vous asseoir dans la salle d’attente je vous prie.
Martin suivi le chemin moquetté jusqu’au fond du couloir et s’engouffra dans la pièce. Le spectacle qui s’offrit à lui l’arrêta un moment et il sentit une sueur froide couler le long de son dos. Ce n’était que toux rauque et éructation douteuse. Devant ces figures maladives qui le dévisageaient, Martin eut un mouvement de recul ; mais, prenant son courage à deux mains, il alla s’asseoir craintivement à la place laissée libre près de la fenêtre. Il fouilla alors dans ses poches et en sortit un mouchoir qu’il appliqua aussitôt sur son nez – maigre protection contre les microbes importuns qui virevoltaient librement dans la minuscule salle d’attente. Choqués par les manières impolies du nouvel arrivant qui ne voulait pas prendre part à la grande braderie des maladies, ses hôtes, aux regards bouffis et larmoyants, gratifièrent Martin d’un mépris unanime. Mais, malgré la désapprobation générale, il conserva néanmoins la précieuse étoffe à fleurs sur ses narines, réconforté à l’idée que celle-ci lui avait été offerte par sa mère lors de son dernier anniversaire.
Les voisins indésirables partant en consultation étaient aussitôt remplacés par d’autres renifleurs impénitents qui amenaient avec eux une nouvelle faune microbienne. Martin se trouvait au bord de l’agonie lorsqu’il entendit la secrétaire l’appeler. Le docteur Jorowsky pouvait enfin le recevoir. Il s’extirpa avec précipitation de la salle d’attente, bousculant fortement la jolie secrétaire au passage. Celle-ci n’eut pas le temps de protester, Martin s’était déjà introduit dans la salle de consultation et avait claqué la porte.
Le docteur Jorowsky se tenait debout, au coin de son bureau, tendant une main molle vers ce patient aux manières incongrues. Martin la saisit au vol, et sans en attendre l’invitation, s’assit sur la chaise devant le médecin. Un peu interloqué tout d’abord, Jorowsky se ravisa et, avec nonchalance, s’installa à son tour. C’était un homme d’une cinquantaine d’années, affable, mais une certaine lassitude se dégageait de lui ; celle d’un praticien connaissant parfaitement la mécanique humaine et n’ayant plus rien à en découvrir.
- Que me vaut l’honneur de votre visite, cher monsieur ? dit-il à Martin d’un air ironique, tout en rangeant certains papiers qui traînaient sur le bureau.
- Je viens de la part du docteur Dubrowsky, répondit Martin, en lui donnant sa lettre de recommandation. Le docteur Dubrowsky m’a envoyé à votre cabinet car mon cas, semble-t-il, le dépassait.
Jorowsky lut rapidement la lettre de son confrère et regarda plus attentivement Martin qui entre temps avait replacé son mouchoir sur son nez.
- D’après ce diagnostic, vous souffririez de forts éternuements chroniques, c’est bien cela ? Dites-moi plus précisément comment cela se manifeste-t-il, et depuis quand ?
- Oh, docteur, c’est affreux ! répondit Martin d’une voix gémissante. Ces éternuements me rendent la vie impossible ; ils m’ont saisi au lendemain de la mort de ma pauvre mère, voilà déjà deux mois. Depuis, sans la moindre raison, je suis pris d’une série d’incroyables éternuements, totalement incontrôlables, et, pour éviter tout risque, je dois rester cloîtrer chez moi toute la journée. Le rhume le plus bénin peut être fatal. Mais le pire…
Le médecin pensa couper court à la triste litanie de Martin en ébauchant son propre diagnostic.
- Mon cher monsieur, je ne vois là aucun mal inexplicable et d’ailleurs, je ne comprends pas pour quelle raison, mon éminent confrère, malgré la grande estime que j’ai pour lui, n’a pu remédier à la maladie dont vous êtes atteint. Vous souffrez tout simplement d’un contre coups nerveux qui fait suite au malheureux décès de votre mère, et cela se manifeste, cas extrêmement rare, je dois l’avouer, par des phases d’éternuements à caractère psychosomatique.
A ces mots, voyant son patient devenir pâle et se crisper de plus en plus sur son siège, le docteur Jorowsky crut de son devoir, comme tout bon praticien doit savoir le faire, de rassurer Martin sur la gravité de son état.
- Allons, allons, cher monsieur, je vais vous prescrire une bonne dose de tranquillisants et une sérieuse cure de repos. L’affection dont vous souffrez disparaîtra comme elle est venue. Il va sans dire que vous avez subi un fort choc émotionnel après la mort de votre mère et que pour cette blessure-là, seul le temps pourra…
Malgré ses efforts, Martin ne put contenir plus longtemps l’éternuement qui lui excitait les narines. Au premier coup de semonce, son mouchoir fut arraché de ses mains et alla se plaquer sur la figure du pauvre docteur. Mais le médecin n’eut pas le temps de se remettre de sa surprise ; après une profonde inspiration, Martin éternua une nouvelle fois. Le bureau de Jorowsky se renversa, les dossiers médicaux s’éparpillèrent à travers la pièce et la vitre de la porte éclata sous la pression. L’étonnement premier du docteur avait cédé la place à une terreur extrême. Il se réfugiait sous le bureau renversé lorsque, pour la troisième fois, Martin éternua. De toute sa carrière de médecin, et même de toute son existence, jamais Jodorowsky n’avait vu, ni entendu pareille chose. La déflagration fut si intense, qu’on a pu croire un instant que la foudre s’était abattue sur le cabinet médical. Les murs se lézardèrent et ce qui était resté intact ou encore debout après les deux précédents cataclysmes, fut littéralement désintégré sur place. Jorowsky, terrorisé, pensa que son abri de fortune ne résisterait pas à une prochaine salve, mais plus rien ne se produisit alors, la crise d’éternuements de Martin était terminée.
Prudemment, avec d’infinis précautions, le médecin passa lentement sa tête au-dessus de ce qui avait été son bureau et, au milieu d’un chaos indescriptible, à l’épicentre de l’onde de choc, juché sur un monticule de décombres, il vit Martin en train de sangloter comme un enfant. Par l’entrebâillement de la porte déchiquetée, toutes les personnes du cabinet se pressaient pour constater, ahuries, toute l’étendue des dégâts. Sentant l’insistance de ces regards médusés, Martin déclara, d’une voix faible et tremblante :
- Vous comprenez maintenant, docteur, pourquoi mon cas est désespéré…
L’affaire du cabinet du docteur Jorowsky fit grand bruit, mais les autorités, voyant les possibilités de destruction absolument gigantesques dont avait été doté Martin et afin d’éviter toute fuite vers une puissance étrangère, cherchèrent à démentir la réalité de cet incident. Depuis ce jour, nul n’a plus jamais entendu parler de Martin. Néanmoins, certaines rumeurs disent qu’il ferait l’objet, dans le plus grand secret, d’études scientifiques ayant pour but de développer une nouvelle arme militaire.